Le 4 novembre 1987, le Général Ben Ali, adepte de l’ordre et des logiques binaires, dernier Premier ministre de Bourguiba, recevait l’ambassadeur des USA à Tunis en présence de son ministre des … affaires sociales ! Ce même ministre, Hédi Baccouche, deviendra l’éphémère et aigri Premier ministre du Général, au lendemain du coup d’Etat médical du 7 novembre 1987 !
Deux décennies infâmes plus tard, le 14 janvier 2011, le Général est chassé en douce du pays qu’il a tenu d’une main cupide, d’une main de fer et de plomb, avec la complicité active et passive d’une partie de la population tunisienne et une très large partie de l’élite économique et culturelle du pays. Mais aussi avec le soutien de nombreux pays « frères et amis ».
Les hivers sont chauds en Tunisie ! Le 26 janvier 1978, la répression de la grève générale par la police et l’armée tunisiennes avait coûté la vie à des centaines de Tunisiens – plus de 500 morts selon la police, et plus de mille selon l’opposition. Bourguiba n’est pas chassé du pouvoir ! Le 29 décembre 1983, la suppression des subventions aux produits de première nécessité conduisit au déclenchement des «émeutes du pain ». Encore des centaines de morts sous les coups conjugués de l’armée et de la police. Bourguiba, « trompé », aussi, avait, aussi « compris » les besoins de cette « poussière de peuple » ! Il annula l’augmentation des prix de la misère. Il fut acclamé en héros ! Le 13 décembre 2011,
un jeune Tunisien, Bouazizi, un jeune atomisé, comme des centaines de milliers d’autres, en détresse solitaire dans un pays de tradition tribale encore vivace dans certaines régions, retourne la violence du pouvoir contre sa propre vie.
Cette fois-ci, les jeunes Tunisiens, spontanément, réagissent, comme un seul homme ! Fayçal Baraket, en 1992, n’avait pas eu droit à tant d’honneur et d’empathie ! Ces jeunes vont manifester avec une détermination toute électronique leur solidarité, leur ras-le-bol et leur haine du pouvoir, incarné par le Général-et-safamille.
Encore des morts ! Mais « seulement » 78 morts ! Sous les seules balles de la police du Général ! L’armée, cette fois-ci, a refusé de tirer !
C’est une armée qui protège désormais le peuple ! C’est une armée républicaine ! Le Général, seul, est chassé avec une célérité virtuelle du pouvoir ! Le système, c’est le Général-et-sa-famille ! Et le RCD, alors !
Les hivers sont chauds en Tunisie ! Pourtant, nos hibernations sociales sont courageusement longues ! Notre poète Abou El Kacem Chabbi, lui, nous a parfaitement compris et décrits …
Quoi de plus ordinaire ! Un dictateur adepte de l’informatique a été défait par une étrange mobilisation collective électronique !
Etrange, car cette mobilisation a semblé avoir été remontée comme une horloge mécanique. Wikileaks divulgue la teneur de télégrammes diplomatiques, triés sur le volet semble-t-il – bizarrement, aucun télégramme « fuité »
ne disserte sur les opposants embedded concernant la situation politique en Tunisie. Leur contenu indique clairement que les USA ne soutiennent plus leur Salaud tunisien et qu’aucun membre du clan « quasi-mafieux » ne leur semblait crédible pour assurer la survie du régime.
L’événement de l’immolation réelle surgit opportunément. Cela aurait pu être une immolation virtuelle, une immolation fabriquée, une falsification de résultats d’un concours de recrutement, un Timisoara tunisien etc. Les conséquences auraient été les mêmes que par le passé tant une partie de la jeunesse tunisienne était dans le désarroi, la frustration et le désespoir : une révolte, un soubresaut populaire plus ou moins maté et récupéré.
Mais cette fois-ci, on a assisté à une mobilisation de trois semaines, organisée sans faille sur le réseau Facebook. Toutes les informations, toutes les rumeurs, toutes les opinions canalisaient la colère des jeunes vers un même objectif : occuper la rue et exiger le départ du Général-et-sa-famille ! Très peu y ont vu un mouvement aux conséquences majeures. Sauf le Département d’Etat américain ! Les responsables du secteur Tunisie au sein de ce même Département convoquent, dès la première semaine de mobilisation légitime l’ambassadeur de Tunisie et lui transmettent une seule exigence : ne pas censurer le réseau social américain ! Heureusement, cette mobilisation de la jeunesse sera rapidement encadrée par les sections régionales de la centrale syndicale et échappera à la manipulation. Le 14 janvier 2011, à la nuit tombée, à 18 heures 35 minutes, le Général quitte le pays de manière plus élégante que Manuel Noriega mais moins glamour que le Shah d’Iran ! Réaction immédiate de M. Obama, qui salue « le courage et la dignité du peuple tunisien » pour s’être débarrassé du tyran et de son régime ! Mission
accomplie, semble-t-il, pour ce Seigneur de l’instrumentalité ! Fichtre ! Un président américain qui sait que notre petite Tunisie existe ! Que ce pays est habité par un peuple et non par des « rues » !
Notre « bravitude » a transpercé les montagnes et traversé mers et océans !
Sous les Bush, la Tunisie, comme ses sœurs arabes, était peuplée de « rues » qui gigotent de temps à autre ! Le mot d’ordre était de terroriser ces rues et de les tétaniser par la puissance de feu américaine. Sous les Bush, on prenait langue avec la « rue arabe » par des opérations de type « Tempête du désert » ou « Stupeur et effroi » ! M. Obama semble privilégier les opérations « flatter et séduire » ! Il nous rend visite modestement. Il nous susurre des mots en arabe. Bientôt, il va nous réciter des versets … sataniques pour nous dire dans quel Islam nous devons nous draper !
Dès la fuite du Général et l’intervention de M. Obama, une partie des Tunisiens a considéré que « la Révolution du jasmin » était achevée ! Le réseau Facebook a relayé cette position. Les informations, les opinions, les mots d’ordre qui y circulent depuis, ont déstabilisé la cohésion et l’assurance de la mobilisation, disloqué les opinions et commencé à semer le doute sur la suite à donner au mouvement populaire. Les troubles, l’insécurité, les actions des simili escadrons de la mort et le ralliement prémédité des opposants embedded sont en train de redonner confiance aux rhinocéros, véritables piliers du régime du RCD-milice-police en place depuis plus de 50 ans. Ce régime a construit en particulier depuis 1987, un système totalitaire modèle.
La constitution d’un gouvernement d’ « unité nationale » indique clairement que le jasmin est génétiquement modifié. Il vire vers une drôle de couleur orange et exhale une étrange odeur de rose fanée. En Ukraine et en Géorgie, les politiques de « sortie » du totalitarisme ont été assujetties à des intérêts étrangers et conduites, de ce fait, par des hommes qui ont ignoré les attentes légitimes de leurs peuples. Résultat : la gabegie, l’instabilité intérieure et l’aventurisme extérieur.
La République dominicaine paiera cher sa transition constitutionnelle assurée par un fantoche du tyran macabre Trujillo. Balager, décrit comme un homme austère et effacé, reprit le flambeau et régna sur les Dominicains durant quinze ans.
La Tunisie a fêté le bouc mais elle n’a pas encore fêté sa liberté et encore moins son émancipation ! Sa révolution a été prise de vitesse par un i-coup d’Etat et une révolution de palais. Si ce mouvement populaire échoue, la Tunisie risque d’habiter pour longtemps le passé de l’Amérique latine.
Rien n’est encore perdu, rien n’est encore gagné. Aujourd’hui, une partie du peuple tunisien occupe pacifiquement l’espace public et exige un changement radical. Pour enrayer toute tentative de retour en arrière.
Demain, il n’en sera peut-être pas de même. Nous devons absolument profiter de cette fenêtre de résistance pour parachever la réappropriation de notre destin. Ne nous laissons pas berner par les discours fallacieusement flatteurs ;
nous ne sommes ni les plus braves, ni les plus courageux des peuples. Nous le savons, nous avons tendance à tergiverser, à composer. Ne ratons pas ce moment historique.
Nous devons renouer avec notre mémoire sociale et éthique, réactualiser le destin brisé de Farhat Hached. L’attitude des syndicalistes de base redonne à tous de l’espoir. C’est grâce à notre Centrale syndicale que le mouvement s’est d’abord émancipé de la manipulation et a retrouvé sa vigueur et sa détermination.
L’UGTT doit retrouver la place qu’elle n’aurait jamais dû perdre.
L’assassinat de Ferhat Hached le 5 décembre 1952 avait fragilisé le mouvement syndical tunisien et ouvert la voie à l’hégémonie du Destour. Cette hégémonie explique en grande partie la situation d’aujourd’hui. La Tunisie avait perdu ainsi un contre-pouvoir et la perspective d’un développement politique et économique équilibré. Qui a tué Hached ? Qui sont les Tunisiens qui ont participé à son élimination ? Nous ne le savons pas jusqu’à ce jour. La France, en cette période cruciale pour la Tunisie, s’honorerait et regagnerait de sa crédibilité auprès des Tunisiens et pas seulement, en levant le secret défense sur cette affaire d’assassinat.
La vérité aidera les Tunisiens à comprendre leur passé pour mieux construire leur avenir. La vérité aidera l’UGTT à retrouver son autonomie et son statut de contre-pouvoir et de contreproposition.
Aujourd’hui, sous la houlette des syndicalistes de base de l’UGTT et de l’opposition, l’opposition authentique, le mouvement vers la liberté reprend de l’ampleur. L’enjeu étant d’arracher tout espoir à tous ceux qui ont avili le peuple tunisien pendant plus de cinquante ans, tout espoir de statu quo ou de possibilité de repartir comme en 1987. L’agenda immédiat est la déconstruction du partiétat RCD.
Aujourd’hui, la situation risque de dégénérer. Il n’y a rien à espérer de cette nouvelle « transition constitutionnelle », rien à attendre de ce gouvernement « d’unité nationale ».
L’armée nationale tunisienne a refusé de tirer sur la population. Elle l’a décidé en toute liberté et en toute conscience parce qu’elle est patriotique et républicaine. Elle a pris cette fois-ci le parti du peuple. C’est ce qu’elle prétend. Qu’elle le prouve. Qu’elle parachève ce qu’elle a entrepris.
L’armée, patriotique et républicaine, libre dans ses choix et décisions, peut superviser le processus de sortie du totalitarisme.
Elle peut transformer l’étrange i-coup d’Etat en coup d’Etat clair et franc qui ouvrira la voie à une véritable alternative démocratique. L’armée pourra s’appuyer sur de grands commis de l’Etat qui ont su préserver leur intégrité, pour la gestion des affaires courantes et la reprise d’une activité économique et sociale normale. Elle se chargera de la sécurité des citoyens et de leurs biens.
Sera-t-elle en mesure de mettre les bases pour un espace public démocratique ? Elle pourra confier cette mission à un comité de la Constituante. Ce comité pourrait être chapeauté par Ahmed Mestiri et Ahmed Ben Salah, deux personnalités politiques historiques, sociologiquement et politiquement complémentaires. Ils se sont opposés à Bourguiba, certes pas toujours quand il le fallait et comme il le fallait. Ils se sont opposés dès le départ au Général Ben Ali. Agés, ils sont fragiles physiquement mais restent vigoureux intellectuellement et moralement. Ahmed Mestiri et Ahmed Ben Salah disposent de cette légitimité. Ce comité devra préparer les conditions juridiques et institutionnelles pour une refondation de la Constitution et l’établissement des institutions d’un nouveau régime. Cette préparation devra se dérouler en concertation avec les candidats légitimes aux futures élections présidentielles, tels que Moncef Marzouki, Sihem Ben Sedrine, Hamma Hammami, ou encore Mokhtar Yahyaoui. Ils seront les principaux visages de la Tunisie nouvelle.
http://nawaat.org/
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